[ACTUALITÉ] Le RAA en Polynésie : Un fléau sous-estimé
Ua Pou, le 5 mars 2025 – En mission de dépistage du rhumatisme articulaire aigu (RAA) au collège de Hakahau, à Ua Pou, le Dr Jean-Marc Ségalin a profité de l’occasion pour faire le point avec l’équipe du centre médical sur cette maladie qui, sans prise en charge rigoureuse, peut entraîner de graves complications cardiaques.
Le rhumatisme articulaire aigu (RAA), aussi appelé maladie de Bouillaud, est une pathologie grave qui touche le cœur, les articulations, la peau et le système nerveux. En Polynésie française, la maladie constitue un véritable problème de santé publique, avec une prévalence similaire à celle des populations aborigènes d’Australie, des îles Tonga ou de certaines régions d’Afrique. Chaque année, on recense environ 300 000 nouveaux cas dans le monde, et en Polynésie, de nombreux enfants sont diagnostiqués trop tard, parfois en insuffisance cardiaque avancée.
Le RAA survient principalement après une infection à streptocoque A, que ce soit par voie respiratoire (angines mal soignées) ou cutanée (impétigo). Le climat chaud et humide, les conditions de vie précaires dans certaines zones densément peuplées et un accès inégal à l’eau propre favorisent la prolifération de ces bactéries.
Un dépistage scolaire essentiel
Depuis 2019, la Direction de la santé a mis en place un programme de dépistage scolaire, piloté par le centre du RAA. Chaque année, le Dr Jean-Marc Ségalin et son équipe réalisent plusieurs centaines d’échographies cardiaques sur les élèves de 6e et 5e. Cette méthode permet d’identifier des lésions cardiaques infracliniques, non détectables au simple stéthoscope, et présentes chez un nombre bien plus important d’enfants qu’on ne le pensait.
Pour la deuxième année consécutive, le centre du RAA est intervenu la semaine dernière à Ua Pou. Lors de cette mission, 38 élèves de 6e ont bénéficié d’une première échoscopie et quatre autres élèves de 5e et 4e ont été réévalués pour confirmer un diagnostic précédent.
Un traitement long mais indispensable
Le diagnostic de RAA impose généralement un traitement rigoureux sur une durée minimale de dix ans. L’omission répétée du traitement augmente considérablement le risque de rechute et d’aggravation de la maladie.
Le traitement repose principalement sur une injection intramusculaire de pénicilline toutes les quatre semaines. Traditionnellement douloureuse lorsqu’elle est réalisée dans le muscle du grand fessier, une alternative plus confortable, désormais utilisée en Polynésie française, consiste à administrer l’injection dans la zone ventroglutéale (muscle moyen fessier), à hauteur de la hanche.
Former le personnel local pour un dépistage autonome
L’idéal serait que le personnel de santé des centres de santé soit formé à la réalisation d’échoscopies valvulaires. Cette technique ciblée, plus simple que l’échocardiographie, permet de détecter précocement les anomalies cardiaques liées au RAA.
Cette année, l’équipe du centre médical de Hakahau (deux médecins, quatre infirmiers et aides de soins, un dentiste, un sage-femme et l’infirmière du collège) a pu bénéficier d’une mise à niveau sur la situation du RAA et d’une initiation à l’utilisation plus ciblée de l’échographe du dispensaire.
Avec un coût annuel estimé à 1,4 milliard de francs pour la prise en charge des patients atteints, le RAA constitue un fardeau sanitaire et économique majeur. En revanche, un dépistage de masse, estimé entre 6 et 10 millions de francs par classe d’âge, pourrait être une solution rentable et sauver de nombreuses vies.
Il y a actuellement environ 4 000 élèves de 6e en Polynésie. En 2024, le centre du RAA a effectué une mission de dépistage sur une dizaine d’îles en dehors de Tahiti.
Un espoir pour l’avenir ?
Si des vaccins contre les bactéries sont en développement, leur mise en place reste lointaine. En attendant, la lutte contre le RAA repose sur l’amélioration de l’hygiène, le dépistage précoce et la formation des soignants.
Un DU local monté par le centre du RAA en collaboration avec l’hôpital universitaire de Bordeaux a été mis en place pour former des infirmiers, sages-femmes et médecins aux échoscopies de dépistage, mais les places sont rares.
Témoignages : la réalité du terrain
Dr Antoine Henriet, médecin généraliste itinérant : “J’ai dû apprendre à détecter et suivre le RAA”
“Arrivé en Polynésie en janvier 2024, j’ai dû apprendre à détecter et suivre le RAA, une pathologie quasi inexistante en Europe occidentale. Heureusement, nous avons accès aux protocoles mis à jour par le centre du RAA sur le site de la Direction de la santé. Lors d’un cas suspect à Ua Pou, j’ai pu compter sur le soutien de Jean-Marc Ségalin, toujours accessible.”
Éléonore Brié, infirmière titulaire exerçant au dispensaire de Hakahau depuis six ans : “Le dépistage ciblé des enfants de 11 ans est une chance”
“À Ua Pou, la tranche de population touchée concerne principalement des collégiens. Mais de temps en temps, nous avons de mauvaises surprises chez de jeunes adultes également. Pour ce qui est de la prise de conscience de cette maladie, beaucoup en ont entendu parler mais n’y pensent pas forcément lorsqu’ils viennent consulter pour un mal de gorge, par exemple. Aussi, le premier réflexe est de penser à une angine ou un autre problème ORL, cependant les ‘petits bobos’ ou autres plaies non soignées sont également des portes d’entrée pouvant entraîner l’apparition de la maladie qui se manifeste rapidement par des rhumatismes articulaires aigus puis par la suite par des atteintes cardiaques plus ou moins importantes. Si nous avons des doutes sur un possible RAA, nous avons les moyens, une fois par semaine tous les lundis, de réaliser des prélèvements – notamment sanguins –, qui sont expédiés le mardi par voie aérienne. Cela nous permet de réaliser les prélèvements spécifiques à J0 et J14. Le dépistage ciblé des enfants de 11 ans est une chance. À l’heure actuelle, aucun personnel du centre médical n’a encore bénéficié de la formation qui vient de s’ouvrir en 2024, permettant une reconnaissance officielle de l’utilisation de l’échographe dans le but de réaliser des dépistages pour tous les patients qui y seraient éligibles. Mais en fonction du flux des nouveaux arrivants, que ce soient des médecins, infirmiers ou sages-femmes, nous avons la chance de temps en temps d’avoir du personnel déjà formé à l’utilisation d’un échographe. Selon les recommandations parues en décembre 2024, toute la fratrie de la personne diagnostiquée RAA doit bénéficier d’un dépistage en cardiologie, ce qui n’est pas encore réalisable car les deux missions spécialisées en cardiologie annuelles ne suffisent pas à absorber les besoins de l’île.”
[ACTUALITÉ] Le RAA en Polynésie : Un fléau sous-estimé
Ua Pou, le 5 mars 2025 – En mission de dépistage du rhumatisme articulaire aigu (RAA) au collège de Hakahau, à Ua Pou, le Dr Jean-Marc Ségalin a profité de l’occasion pour faire le point avec l’équipe du centre médical sur cette maladie qui, sans prise en charge rigoureuse, peut entraîner de graves complications cardiaques.
Le rhumatisme articulaire aigu (RAA), aussi appelé maladie de Bouillaud, est une pathologie grave qui touche le cœur, les articulations, la peau et le système nerveux. En Polynésie française, la maladie constitue un véritable problème de santé publique, avec une prévalence similaire à celle des populations aborigènes d’Australie, des îles Tonga ou de certaines régions d’Afrique. Chaque année, on recense environ 300 000 nouveaux cas dans le monde, et en Polynésie, de nombreux enfants sont diagnostiqués trop tard, parfois en insuffisance cardiaque avancée.
Le RAA survient principalement après une infection à streptocoque A, que ce soit par voie respiratoire (angines mal soignées) ou cutanée (impétigo). Le climat chaud et humide, les conditions de vie précaires dans certaines zones densément peuplées et un accès inégal à l’eau propre favorisent la prolifération de ces bactéries.
Un dépistage scolaire essentiel
Depuis 2019, la Direction de la santé a mis en place un programme de dépistage scolaire, piloté par le centre du RAA. Chaque année, le Dr Jean-Marc Ségalin et son équipe réalisent plusieurs centaines d’échographies cardiaques sur les élèves de 6e et 5e. Cette méthode permet d’identifier des lésions cardiaques infracliniques, non détectables au simple stéthoscope, et présentes chez un nombre bien plus important d’enfants qu’on ne le pensait.
Pour la deuxième année consécutive, le centre du RAA est intervenu la semaine dernière à Ua Pou. Lors de cette mission, 38 élèves de 6e ont bénéficié d’une première échoscopie et quatre autres élèves de 5e et 4e ont été réévalués pour confirmer un diagnostic précédent.
Un traitement long mais indispensable
Le diagnostic de RAA impose généralement un traitement rigoureux sur une durée minimale de dix ans. L’omission répétée du traitement augmente considérablement le risque de rechute et d’aggravation de la maladie.
Le traitement repose principalement sur une injection intramusculaire de pénicilline toutes les quatre semaines. Traditionnellement douloureuse lorsqu’elle est réalisée dans le muscle du grand fessier, une alternative plus confortable, désormais utilisée en Polynésie française, consiste à administrer l’injection dans la zone ventroglutéale (muscle moyen fessier), à hauteur de la hanche.
Former le personnel local pour un dépistage autonome
L’idéal serait que le personnel de santé des centres de santé soit formé à la réalisation d’échoscopies valvulaires. Cette technique ciblée, plus simple que l’échocardiographie, permet de détecter précocement les anomalies cardiaques liées au RAA.
Cette année, l’équipe du centre médical de Hakahau (deux médecins, quatre infirmiers et aides de soins, un dentiste, un sage-femme et l’infirmière du collège) a pu bénéficier d’une mise à niveau sur la situation du RAA et d’une initiation à l’utilisation plus ciblée de l’échographe du dispensaire.
Avec un coût annuel estimé à 1,4 milliard de francs pour la prise en charge des patients atteints, le RAA constitue un fardeau sanitaire et économique majeur. En revanche, un dépistage de masse, estimé entre 6 et 10 millions de francs par classe d’âge, pourrait être une solution rentable et sauver de nombreuses vies.
Il y a actuellement environ 4 000 élèves de 6e en Polynésie. En 2024, le centre du RAA a effectué une mission de dépistage sur une dizaine d’îles en dehors de Tahiti.
Un espoir pour l’avenir ?
Si des vaccins contre les bactéries sont en développement, leur mise en place reste lointaine. En attendant, la lutte contre le RAA repose sur l’amélioration de l’hygiène, le dépistage précoce et la formation des soignants.
Un DU local monté par le centre du RAA en collaboration avec l’hôpital universitaire de Bordeaux a été mis en place pour former des infirmiers, sages-femmes et médecins aux échoscopies de dépistage, mais les places sont rares.
Témoignages : la réalité du terrain
Dr Antoine Henriet, médecin généraliste itinérant : “J’ai dû apprendre à détecter et suivre le RAA”
“Arrivé en Polynésie en janvier 2024, j’ai dû apprendre à détecter et suivre le RAA, une pathologie quasi inexistante en Europe occidentale. Heureusement, nous avons accès aux protocoles mis à jour par le centre du RAA sur le site de la Direction de la santé. Lors d’un cas suspect à Ua Pou, j’ai pu compter sur le soutien de Jean-Marc Ségalin, toujours accessible.”
Éléonore Brié, infirmière titulaire exerçant au dispensaire de Hakahau depuis six ans : “Le dépistage ciblé des enfants de 11 ans est une chance”
“À Ua Pou, la tranche de population touchée concerne principalement des collégiens. Mais de temps en temps, nous avons de mauvaises surprises chez de jeunes adultes également. Pour ce qui est de la prise de conscience de cette maladie, beaucoup en ont entendu parler mais n’y pensent pas forcément lorsqu’ils viennent consulter pour un mal de gorge, par exemple. Aussi, le premier réflexe est de penser à une angine ou un autre problème ORL, cependant les ‘petits bobos’ ou autres plaies non soignées sont également des portes d’entrée pouvant entraîner l’apparition de la maladie qui se manifeste rapidement par des rhumatismes articulaires aigus puis par la suite par des atteintes cardiaques plus ou moins importantes. Si nous avons des doutes sur un possible RAA, nous avons les moyens, une fois par semaine tous les lundis, de réaliser des prélèvements – notamment sanguins –, qui sont expédiés le mardi par voie aérienne. Cela nous permet de réaliser les prélèvements spécifiques à J0 et J14. Le dépistage ciblé des enfants de 11 ans est une chance. À l’heure actuelle, aucun personnel du centre médical n’a encore bénéficié de la formation qui vient de s’ouvrir en 2024, permettant une reconnaissance officielle de l’utilisation de l’échographe dans le but de réaliser des dépistages pour tous les patients qui y seraient éligibles. Mais en fonction du flux des nouveaux arrivants, que ce soient des médecins, infirmiers ou sages-femmes, nous avons la chance de temps en temps d’avoir du personnel déjà formé à l’utilisation d’un échographe. Selon les recommandations parues en décembre 2024, toute la fratrie de la personne diagnostiquée RAA doit bénéficier d’un dépistage en cardiologie, ce qui n’est pas encore réalisable car les deux missions spécialisées en cardiologie annuelles ne suffisent pas à absorber les besoins de l’île.”